Chers L’Hermois, Chers Amis,
Ce matin nous n’oublions pas que ce 8 mai 1945 l’humanité a découvert, horrifiée, qu’elle pouvait s’anéantir elle-même.
Aujourd’hui, nous commémorons la victoire de ce 8 mai, bien sûr, mais aussi la paix qui la suivie.
C’est elle, la plus grande victoire du 8 mai, notre plus beau triomphe. Celui qu’il nous faut, à tout prix, préserver et défendre.
Nous sommes ici pour ne pas oublier l’horreur d’une guerre ouverte, massive, ou la population civile de toute nationalité a souffert de la faim, de la peur, de l’humiliation, de l’exode, imposée par un homme obnubilé par un pouvoir morbide de vie et de mort sur ses semblables. En se croyant investi d’une « mission divine » en éliminant toutes celles et tous ceux qui n’étaient pas dans les normes qu’il avait lui-même établies.
Mais voilà, un peu plus de trois quarts de siècle de paix nous ont laissé croire qu’elle pouvait être maintenue sans effort.
À force d’oublier que le monde est animé par une volonté qui nous dépasse, nous avons perdu de vue que le confort et l’ordre n’étaient pas la règle.
Aujourd’hui, nous voyons à nos portes en Ukraine, des familles jetées sur les routes, des enfants qui marchent en pleurant, tenant à la main un sac en plastique ou ils ont jeté deux ou trois peluches.
Les villes ayant l’air de Vienne ou de Budapest, détruites, rasées comme en 1945 dont le souvenir revient nous hanter avec le visage glacé de celui qui ordonne cela. Les joues creuses et les yeux hagards de ceux qui subissent.
Encore ne voyons-nous, de notre fenêtre française, qu’une partie de l’histoire.
Les guerres qui font rage un peu partout dans le monde, restent le plus souvent invisibles, si meurtrières et cruelles fussent-elles.
La barbarie frappe plus aisément ceux qui sont privés de mots et de phrases et assassine aussi plus aisément dans le silence.
Nous sommes réveillés de nos complaisances et de nos demi-mesures.
Nous sommes, soudain remis de façon vitale, face aux réalités sombres d’un fascisme qu’on ne voulait pas voir, d’un totalitarisme assassin à qui on trouvait des excuses.
La difficulté qui nous attend, c’est de renoncer à l’indignation, à l’émotion, à la morsure insoutenable de la compassion.
Nous allons retrouver de la révolte rentrée et de l’impuissance aux poings serrés.
Que nous le voulions ou non, nous allons devoir apprendre à ravaler nos larmes.
Ce visage de la guerre, nos compatriotes semblent l’avoir un peu oublié.
Comme si les conflits avaient été trop lointains pour faire durer en nous la claire conscience de ce que c’est un conflit armé.
L’invasion de l’Ukraine met fin à la vision optimiste de l’avenir qui a prévalu dans le monde occidental.
La tragédie contemporaine est celle d’une époque friande de divertissements et de consommation qui s’évertue à occulter le sens originel de ces mots : Détourner l’Attention.
Une époque rattrapée par sa propre inconscience, accro à sa dose quotidienne de polémiques.
Les Ukrainiens sont en train de mourir pour nous. Pour nos principes et nos valeurs, pour la liberté et la démocratie, pour l’indépendance et la souveraineté des états, pour le droit à la paix.
Nous sommes ici devant ce monument pour ne pas oublier l’horreur d’une guerre.
Nous sommes ici pour préserver le droit à la différence.
Nous sommes ici pour garder en tête que notre raison, notre réflexion, notre esprit critique, notre humanité, notre sagesse nous préservent de telle ou telle dérive.
Nous sommes ici pour prendre conscience qu’aucun pays n’est à l’abri de ce qui arrive à l’Ukraine.
Et Maintenant !
77 ans après ! Qu’avons-nous fait de cette victoire ? de ces sacrifices ? de ce courage ? de cette abnégation de ces combattants, sur le front ou dans l’ombre ?
L’Homme est-il devenu plus responsable ?
A-t-il compris que la soif de pouvoir – pouvoir politique, pouvoir religieux, pouvoir de l’argent, pouvoir de la consommation, pouvoir du toujours plus – ne peut se satisfaire que dans la haine, le conflit, l’inhumanité, la violence et la mort ?
La victoire de 1945 a muselé la dictature du moment, mais depuis d’autres sont apparues et des citoyens en quête de solutions improbables sont aujourd’hui prêts à soutenir des politiques populistes comme dernier recours.
La victoire est éphémère et ses conséquences multiples, pas automatiquement positives.
La vie au quotidien se nourrit d’espoirs.
Alors entendons les mots de Malraux
« Un monde sans espoir est irrespirable »
Je termine avec la ferme volonté que la chaîne de la mémoire ne s’interrompe jamais.
Je vous remercie.